Tombouctou: La mystérieuse
« Ville exquise, pure, délicieuse, illustre, cité bénie, plantureuse et animée... »
Ainsi s'exprimait le chroniqueur Abderhaman Sâdi, auteur du Tarikh es-Soudan, en célébrant vers 1630 sa ville de Tombouctou.
Près de quatre siècles ont passé, mais « Tombouctou la Mystérieuse », selon la formule lancée en 1896 par le français Félix Dubois, continue de fasciner le monde. Dans les pays arabes, une expression populaire évoque une certaine Tombouctou, pays fabuleux, enfer ou paradis, mais qui n 'existe que dans l'imagination.
Tombouctou est aujourd'hui plus connue par sa légende que par les différents sites présents, cependant, différents lieux sont dignes d'intérêt. La ville est inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO depuis 1988.
Car Tombouctou existe. On y accéda d'abord à pied ou à dos de chameau, comme le firent des voyageurs célèbres, parmi lesquels le Tangérois Ibn Battûta (1353), le musulman converti au christianisme Léon l'Africain (de son vrai nom Hassan Ibn Mohammed El Wazzan Ez Zayatte) un siècle et demi plus tard, ou, plus près de nous, le major britannique Laing (1826) et le Français René Caillié (1828). Depuis, les moyens de communication ont évolué et, si les caravanes de chameaux affluent toujours de Mauritanie, d'Algérie ou du Niger, le coquet aérodrome accueille aujourd'hui des touristes du monde entier.
En période de crue du moins, les bateaux relient Tombouctou à presque toutes les villes du pays ; depuis Bamako, le trajet - recommandé - prend cinq jours par le Niger, à travers les plus belles contrées du Mali.
Métropole des temps médiévaux, Tombouctou remonte donc aux premiers siècles de l'histoire écrite.
Campement des nomades berbères du XIIe siècle qui rejoignaient ici le fleuve Niger à la saison sèche l'endroit se développa grâce au commerce transsaharien. Les opinions divergent quant à l'origine de son nom. La plus connue, celle d'Es Sâdi formulée dans le Tarikh es-Soudan, veut qu'une vieille femme appelée Bouctou ait été chargée de garder ici le puits des Touareg en dehors des périodes de transhumance ; le campement devint Tin-Bouctou, le lieu ou les puits de Bouctou. Selon une autre hypothèse, Tombouctou, fondée par des populations songhoï, tire son nom de la cuvette où la ville fut édifiée entre les dunes (Tombouctou signifiant « cavité »). Des historiens soutiennent encore que Tombouctou voudrait dire la « petite dune » et serait ainsi nommée du fait des mamelons de sable qui l'entourent. Linguistes, traditionalistes et historiens s'accordent néanmoins sur un point : l'origine berbère de la ville.
Tombouctou n'apparaît pourtant dans l'histoire qu'au XIVe siècle, sous l'administration du Mandé. Au retour de son pèlerinage à La Mecque (1325), l'empereur Kankan Moussa y avait laissé l'architecte-poète andalou Es Sahéli, qu'il chargea de bâtir une prestigieuse mosquée. Sept siècles plus tard, il reste d'elle un monument historique, Djingaieibei (ou Jingereber), construit sur les fondations de la mosquée commandée par Kankan Moussa.
Le style d'origine a été respecté. Dépouillé, robuste, couvert de terrasses en banco dont émerge la forme d'abord pyramidale puis conique d'un minaret hérissé de pieux servant à l'entretien des murs,
Les trois mosquées de la ville, Djingareyber, Sidi Yahiya et Sankoré, sont la mémoire de l'apogée de la ville. Seule la première se visite Djingareiber (ou mosquée du Vendredi) Ce monument de terre et de sable, aurait été édifié aux dimensions de la Kaaba de la Mecque. On peut accéder à la terrasse qui permet d'apprécier l'échiquier de la ville, et de constater l'inexorable avancée du désert.. On peut aussi visiter les restes des maisons qui abritèrent René Caillé, le major Alexander Gordon Laing et le docteur Heinrich Barth, dont certaines ont été transformées en musée
La mosquée de Sankoré abritait la Medersa, cette université qui valut au XVe siècle son rayonnement international à la cité qui, à l'époque, comptait près de 100 000 habitants.
Vingt-cinq mille étudiants se répartissaient entre l'université et les cent quatre-vingt écoles coraniques ; provenant de tout le monde musulman, ils venaient parfaire leurs connaissances en théologie, en droit, en grammaire, mais aussi en matière de traditions, d'histoire et d'astrologie. Cette période succédait à une longue opposition entre les ulémas touareg et l'empereur songhoï Sonni Ali Ber (début du XVe siècle), réputé anticlérical, mais elle n'en fut que plus faste pour l'esprit et la religion. Aux lettrés et écrivains et théologiens du Maghreb, venus autant pour apprendre que pour enseigner. Des professeurs de Tombouctou se voyaient invités par la célèbre université musulmane d'AI-Ahzar, en Egypte: des jurisconsultes marocains de Fès faisaient le voyage de Tombouctou pour renouveler leur savoir,
De son ère de gloire, la cité n'a conservé que le souvenir. De même est-ce tout ce qu'elle a gardé de sa prospérité commerciale. Le quartier d'affaires d'antan, Badjindé, n'abrite plus qu'un marché. Voici cinq siècles, négociants et banquiers s'y bousculaient. Centre de ralliement des chameliers du Sahara et des bateliers du Niger, Tombouctou organisait les échanges entre le désert, la savane et la forêt. Du Maghreb et du Sahara affluaient les chargements de sel, d'épices, de soie, de cuivre ou d'étain.
Du sud arrivaient des pirogues entières de noix de kola, d'or, d'ivoire, de plumes d'autruche et... d'esclaves. Des traités se négociaient sur cette place financière avant la lettre.
Aujourd'hui, Badjindé n'a plus à vendre que son pittoresque : bijoux de paille passés à la cire pour leur donner la teinte de l'or, poupées de cire joliment habillées et décorées par les femmes touareg, et toutes ces richesses d'un artisanat millénaire que constituent les armes, les harnais, les colliers et les chaînes d'or ou d'argent, naguère apanage de l'aristocratie targui (singulier de touareg). Dans les rues d'alentour, seuls vestiges du passé commerçant, des fourneaux en banko produisent toujours leur lot quotidien de délicieuses galettes rondes. A la tombée du jour, ils forment des niches rouges et béantes, détail insolite, qui participent à la fascination exercée par la ville.
Deux fois par an, il retrouve son animation d'antan avec l'arrivée de l'Azalaï, caravane de deux cents chameaux apportant des mines de Taoudenni (à 710 km au nord de Tombouctou, soit à un mois à dos de chameau ou trois jours en véhicule tout terrain) la Seule production du désert, le sel.
Le temps de sa splendeur est passé, mais le mystère de Tombouctou subsiste sans que l'on sache bien en quoi il consiste. Selon une croyance populaire fortement enracinée, le cavalier de pierre au visage couvert d'un litham blanc dénommé El Farouk, qui tourne sur la place de l'Indépendance, descendrait toutes les nuits de son piédestal. On dit qu'il caracole alors à travers la ville.
Le vrai trésor de Tombouctou est constitué par un ensemble de près de cent mille manuscrits détenus par les grandes familles de la ville. Ces manuscrits, dont certains datent de l'époque pré-islamique remontant au XIIe siècle, sont conservés depuis des siècles comme des secrets de famille. Ils sont pour la plupart écrits en arabe ou en fulani, la langue peule, par des savants originaires de l'ancien empire du Mali et contiennent un savoir didactique notamment dans les domaines de l'astronomie, de la musique, de la botanique… Des manuscrits plus récents couvrent les domaines du droit, des sciences, de l'histoire (avec d'inestimables documents comme le Tarikh es-Sudan de Mahmoud Kati sur l'histoire du Soudan au XVe siècle et le Tarikh el-Fetash d'Abderahmane Es-Saad au XVIIe siècle), de la religion, du commerce. Le centre de documentation et de recherches Ahmed-Baba (Cedrab), fondé en 1970 par le gouvernement avec l'aide de l'UNESCO, recueille certains de ces manuscrits pour les restaurer et les numériser. Si déjà plus de 18 000 manuscrits ont été collectés par le seul centre , on estime qu'il existerait jusqu'à 300 000 manuscrits dans l'ensemble de la zone touarègue. Environs 60 à 80 bibliothèques privées existent aussi dans la ville, parmi lesquelles la bibliothèque commémorative Mamma Haidara et la bibliothèque Mahmoud-Kati. Couvrant l'ensemble des domaines du savoir, les manuscrits sont menacés par les mauvaises conditions de conservation et surtout par le trafic dont ils sont l'objet au profit de riches collectionneurs occidentaux,
Et les voyageurs de jadis une fois dans le secret, pouvaient se retrancher derrière cette jolie formule qui a résiste au temps : « Tombouctou la Mystérieuse »
Tombouctou a actuellement une population estimée à environ 33000 personnes. Cependant, au faîte de sa grandeur au XVe siècle, la ville comptait environ 100 000 habitants dont 25 000 étudiants pour la seule université de Sankoré.
L'émigration de sa population est dûe à l'avancée du desert qui rend difficile l'autosuffisance alimentaire.